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Extraits.

par L'écrivain masqué

Dans L’atelier de l’écrivain, Antonio TABUCCHI (au cours d’échanges menés par Carlos GUMPERT) nous donne sa vision de l’inspiration ( et du métier d'écrivain), en voici de courts extraits:

Carlos Gumpert : « A plusieurs reprises, vous avez manifesté de la réticence à vous considérer et à être considéré comme un écrivain de métier. Cependant il émane de maints de vos récits un réel besoin d’écrire, un peu comme si cela s’imposait à vous en marge de vos aspirations. (…) »

Antonio Tabucchi : « Je dirai d’abord que j’ai et que je veux avoir en effet une attitude romantique à l’égard de l’écriture, dans le sens que j’ai parfaitement conscience que l’on puisse écrire par profession, par plaisir et même par devoir : c’est possible, lorsque l’on s’est constitué un certain bagage d’expériences et d’outils.

Mais moi, j’aime écrire par inspiration. Je crois profondément à l’inspiration, et par là je dirais que je me sens très attaché à ma conception romantique de l’écriture. La modernité a fait abstraction des muses, ces êtres mi- divins mi- humains qui visitent les hommes en leur apportant, par l’intermédiaire de la Beauté, la semence de l’Olympe. Je veux croire qu’il existe une sorte de muse que j’appelle inspiration. C’est bien pourquoi je me refuse à écrire quand cette muse se tait, ou quand elle est en vacances, puisqu’aujourd’hui les muses elles-mêmes sont syndiquées et s’offrent donc des vacances. Lorsqu’il en est ainsi, je n’écris pas. J’attends qu’elles reviennent. Aussi y a-t-il dans tout cela quelque chose qui ressemble à une nécessité, c’est certain. En mainte occasion se manifeste un besoin d’écrire auquel on ne peut se soustraire. (…)

En conclusion, il existe évidemment des personnes visitées par des voix, des voix intérieures, et je crois être l’une de ces personnes. Heureusement, ceci ne se produit pas toujours, seulement de temps en temps, parce que, si tel n’était pas le cas, je serais enfermé dans un hôpital psychiatrique. (…) »

Carlos Gumpert : « García Lorca disait que la poésie était le résultat d’un peu d’inspiration et de beaucoup de transpiration. Dans quelle mesure ces deux facteurs interviennent-ils dans votre production littéraire ? »

Antonio Tabucchi : « García Lorca est un grand poète qui, comme tous les grands poètes, est visité par la grâce et par le pathos. Mais ceci nous arrive rarement, à nous, simples narrateurs, êtres beaucoup plus ordinaires et beaucoup plus mortels. En d’autres termes, je crois que le tourment que ressentent les poètes est moindre chez les narrateurs car, si tel était le cas, nous serions tous des poètes, que par ailleurs j’envie beaucoup. L’écriture d’un roman, d’un livre, est une lutte au corps à corps avec la muse, une petite guerre en quelque sorte, intense, mais qui ne perd jamais une certaine dose de courtoisie. C’est une très aimable muse dont il faut attendre la visite, avec laquelle nous avons une petite conversation, et dont nous prenons congé plus tard, pour la voir à nouveau le jour suivant, et cetera.

En revanche, la muse poétique m’apparaît comme une muse féroce, totalitaire, qui a besoin de grands espaces, de grandes émotions, et qui affronte le poète dans une bataille brève mais sans merci. C’est pourquoi je pense que ces deux muses ne sont pas comparables, ce n’est pas pour rien que les anciens Grecs avaient fait une distinction entre les différentes muses qui visitent les artistes.

Ce caractère particulier de la muse fait que l’écriture d’un roman permet plus de relâchement que ne le tolère la poésie. J’aime écrire, et bien que je conçoive que l’écrivain puisse souffrir, je crois qu’il s’agit d’une souffrance délicieuse qui tient un peu du masochisme. Je ne souffre pas, comme le faisait Flaubert, à cause d’un adjectif : j’estime ne pas être un maniaque du style, en général je suis brouillon, je tache ma chemise en mangeant et mon écriture n’est pas non plus un prodige de netteté. Je ne passe pas des heures sur un texte à le peaufiner avec les instruments du perfectionniste. Il me plaît que la littérature soit un peu bohème, un rien friponne, fagotée, avec un trou dans la chaussette, parce que tout cela fait partie de la vie et qu’il est bien qu’il en soit ainsi. »

Antonio TABUCCHI : L’atelier de l’écrivain. Conversations avec Carlos GUMPERT.

Editions : La passe du vent. Traduit de l'espagnol : Michel J. Wagner.

Suivi de Trois petites histoires. Traduit de l'italien par Patrick Vighetti.

Date de parution 01/2001. ISBN : 2-84562-009-8. 14 x 21 cm / 296 p. / 22,50 € (mais aussi dans toutes les bonnes bibliothèques !)

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L
Merci mille fois à vous Gwenangel pour votre scintillant passage (et oui, vos commentaires brillent comme des petites étoiles!)
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L
Bonjour Gwenangel. Merci pour cette touche d'humour matinal (laissez donc le muguet de vos voisins, il serait dommage de les priver de leurs clochettes porte-bonheur et de leur espoir de dispenser bonheur et joie autour d'eux avec la traditionnelle offrande des brins de muguet...sans parler des hypothétiques effets secondaires!).<br /> Pas de chance de se croiser sur les réseaux sociaux vu que je n'y vais pas, je préfère le concret d'autres pages déjà bien chronophages...<br /> Vous souhaitant une belle journée également (entre ciel et terre).
G
lol !<br /> <br /> depuis hier, je prie juste Dieu que vous ne soyez absolument pas un de mes contacts présents sur une de mes pages de &quot;réseaux sociaux&quot; (bon diou, j'ai vraiment horreur de ce nom) ! j'aurais officiellement et réellement la poisse comme amie numéro 1 lol<br /> <br /> vos qualités de gentillesse, de douceur, de très bonne éducation... sont identiques aux siennes ! et, là, je m'écroulerais carrément de honte à chaque, mais rare, connexion lol<br /> <br /> brouter le muguet des voisins pourrait être une des solutions à envisager, pour, définitivement, vaincre cet humour pathologique et parfois désastreux ; je vais donc y songer très sérieusement lol<br /> <br /> le quasar co(s)mique vous souhaite sincèrement une très bonne journée lumineuse :-D
G
ah du fond du coeur, j'applaudis et le texte et le partage mon ami(e) !!!!! <br /> j'adhère réellement aux propos d'Antonio, complètement au diapason avec mes &quot;pensées&quot; !<br /> <br /> &quot;je me refuse à écrire quand cette muse se tait, ou quand elle est en vacances... je n’écris pas. J’attends qu’elles reviennent... il existe évidemment des personnes visitées par des voix, des voix intérieures...&quot;<br /> <br /> &quot;L’écriture d’un roman, d’un livre, est une lutte au corps à corps avec la muse, une petite guerre en quelque sorte, intense, mais qui ne perd jamais une certaine dose de courtoisie. C’est une très aimable muse dont il faut attendre la visite, avec laquelle nous avons une petite conversation, et dont nous prenons congé plus tard, pour la voir à nouveau le jour suivant.&quot;<br /> <br /> je vous souhaite donc, très cher(e) et &quot;adorable masochiste&quot; lol une agréable soirée et une &quot;souffrance délicieuse&quot; digne du génie lollll<br /> <br /> et mille fois MERCI !
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